Etude technique de l'orgue PDF Imprimer Envoyer

Cette brève étude technique de l'orgue de Leudeville est extraite du rapport réalisé par Monsieur Pierre Dumoulin de l'ARIAM (Association Régionale d'Information et d'Actions Musicales en Ile-de-France) à l'issue de sa visite du 24 avril 1992.

Constructeur

Instrument non signé, susceptible d'avoir été réalisé dans le premier quart du XIXème siècle, en raison du caractère très classique de sa construction (pédalier "à la française", tuyaux coupés au ton, abrégé en fer comme au XVIIIème, etc...).

Emplacement

Au centre d'une tribune en bois, à fleur de tribune, au revers de la façade principale de l'église.

Buffet

Buffet de l'orgueLe buffet qui abrite ce petit orgue présente un caractère relativement "monumental", eu égard aux dimensions modestes de l'église et de la tribune. En fait, il s'agit, d'un grand "décor" postiche derrière lequel est plaquée une simple armoire rectangulaire qui contient l'instrument.

La face avant constitue un ensemble homogène avec les panneaux à cadres qui bordent la tribune. Au centre des panneaux est encastré un petit soubassement de même essence (noyer ?) souligné d'une belle moulure en ressaut. Le panneau central, généreusement mouluré, est orné d'un losange horizontal percé d'un médaillon ovale. L'étage supérieur est constitué d'une fausse façade d'orgue composée d'une plate-face centrale en plein-cintre et de deux tourelles latérales semi-circulaires reposant sur des consoles en pendentif. Les tuyaux de cette façade sont postiches, en bois peint à l'imitation du métal (7+11+7 tuyaux). Au-dessus, s'élève un large fronton couronné d'un entablement curviligne souligné de moulures ornées de denticules et surmonté d'une sphère dorée. Entre les pilastres cannelés du fronton s'ouvre une baie circulaire cantonnée de quatre petits occuli. L'entablement est lui-même percé d'une baie polylobée. Ces ouvertures sont actuellement garnies de verre (ou de plastique ?) violemment coloré. Cette façade est accotée de deux consoles en volutes à décor de palmettes qui accusent la composition en triangle de l'ensemble.

Ce décor, apparemment en bon état, est tout à fait particulier: je n'en connais qu'un seul exemple semblable - bien que plus sommaire - à l'orgue de l'église Saint Hermeland, de Bagneux (92), conçu pour un instrument érigé vers 1830.

Le "coffre" qui abrite la partie instrumentale de l'orgue de Leudeville n'a qu'un rôle protecteur. Ouvrant à l'arrière et sur les côtés, il permet un accès aisé à la mécanique, à la soufflerie et à la tuyauterie (plusieurs panneaux mal refaits en contreplaqué).

Compte-tenu de sa rareté et de sa belle exécution, cet ensemble serait susceptible de bénéficier d'une protection (classement ou inscription ?) au titre des objets mobiliers, si la commune n'y voit pas d'inconvénient.

Soufflerie

Soufflerie de l'orguePlacée dans le soubassement, l'alimentation d'origine est encore en place. Elle est constituée d'une pompe cunéiforme à un pli, fixée sous la table fixe d'un réservoir. Cette pompe était actionnée au moyen d'un levier sortant du buffet, à gauche de l'instrument (face à l'orgue). Ce levier a été supprimé et la pompe condamnée lors de la pose d'un ventilateur électrique logé dans un caisson d'Isorel de l'autre côté du buffet.
Le réservoir est un modèle cunéiforme à quatre plis rentrants analogue à ceux utilisés dans les orgues mécaniques à cylindre des XVIIIème et XIXème siècles. Il possède encore sa soupape de décharge, sur la table mobile, qui s'ouvre lorsque le réservoir est en position haute. Un dispositif rustique a été installé lors de la mise en place du ventilateur, afin de commander la boîte régulatrice à rideau.

Un portevent unique rectangulaire, en sapin, conduit le vent de la table fixe du réservoir jusqu'à la laye de l'instrument, côté Ut.

Sommier

Détails des soupapes de l'orgueSommier en chêne, en une seule partie, à disposition en "V", laye à l'arrière, reposant sur une charpente en chêne. Tampon de laye en une seule partie, en chêne, muni de deux poignées en fer et assujetti par cinq crochets pivotant en fer. Les faux-sommiers sont en bois blanc et sont maintenus par des pilotes en forme d'octogone aplati, en chêne. Un des faux-sommiers, au moins, ne semble pas d'origine (doublette).
Les soupapes sont en chêne, collées en queue et de très belle exécution (chanfreins sur la face avant, rainure pour le ressort et pour l'oeillet). Le tirage s'effectue au moyen d'esses en laiton et d'osiers avec boursettes en peau, à la manière classique.

 

 

 

 

La table, les registres et faux-registres, les chapes sont en chêne. Ordre des chapes, de l'avant vers l'arrière :

  1. Bourdon     8
  2. Prestant     4
  3. Doublette   2

Il n'a pas été décelé d'emprunt, mais simplement de légères soufflures, dues à un enchappage trop libre.

Console

Console de l'orgueConsole en fenêtre, à l'arrière de l'orgue. Fermée par deux volets (cadre en chêne, panneaux chêne mince), elle abrite un clavier manuel de 54 notes, légèrement saillant (châssis plaqué de palissandre, notes diatoniques plaquées d'ivoire, feintes en ébène) et un pédalier "à la française" de 18 marches (Ut1 - Fa2) avec repose-pieds en fer rond. Ce pédalier est en tirasse fixe des basses du clavier manuel. Ce pédalier est placé très haut (orgue surélevé ?) ce qui a contraint de jucher l'organiste sur un curieux tabouret, lui-même posé sur un caisson rectangulaire.

  

Transmissions

MECANIQUE DES NOTES

Abrégé du manuelClavier de 54 touches axées en queue, en chêne avec pointes-guides en fer passant dans des mortaises suivant l'ordre des notes (réutilisation possible d'un clavier à balancier), oeillets de tirage placés en ligne juste à l'avant des pointes-guides, vergettes en chêne avec fils de laiton et écrous de réglage en cuir, abrégé en fer rond pivotant sur cavaliers laiton fixés sur un panneau de chêne, bras d'abrégé forgés dans chaque rouleau, second rang de vergettes identiques tirant les osiers. Ce système est exactement conforme à celui employé, par exemple, à l'orgue de Houdan, construit en 1735 par Louis-Alexandre Clicquot.

L'abrégé de la tirasse fixe est analogue en tous points : Il comporte 18 rouleaux en fer rond fixés par des cavaliers en laiton plantés dans une simple planche de chêne (tracé des vergettes visible).

Ce système d'abrégés métalliques est connu depuis au moins le XVIème siècle. Très efficace et indéréglable, il s'est maintenu jusqu'au début du XIXème siècle, chez des facteurs d'orgues "archaïsants" et pour de petits instruments ou pour ceux où la place était mesurée.

Tirants de l'orgueTIRAGE DES JEUXAbrégé de la tirasse

A droite du clavier, quatre tirants disposés sur une rangée verticale : tirants carrés en chêne avec trois pommeaux tournés d'un beau modèle du XVIIIème siècle (le quatrième est plus récent). Ces tirants sont surmontés d'étiquettes en plastique provenant d'une intervention récente; on distingue cependant, inscrit à l'encre sur le bois, le nom des jeux correspondant à une composition plus ancienne : bourdon - prestant - octavin (deux registres).

A l'intérieur, bâtons carrés en chêne (certains déportés par assemblage) actionnant des pilotes tournant octogonaux en chêne avec bras en bois, qui commandent au moyen d'un ergot en fer les têtes de registres, sur le côté droit du sommier. Echelle des pilotes en chêne, selon la facture traditionnelle.

Tuyauterie

BOURDON 8Tuyauterie de l'orgue

12 basses en sapin postées à l'avant du sommier sur pièce gravée avec postages en plomb (pieds coniques tournés, lèvre inférieure en chêne clouée, corps peints en brun-rouge, tampons à poignée tournée en fuseau) + 42 tuyaux sur le sommier (tuyaux en étoffe, à calottes soudées, oreilles sur toute l'étendue, biseaux minces avec dents, marquage de la note à la pointe fine).

PRESTANT 4

12 tuyaux de flûte ouverts, en sapin, postés à l'avant du sommier et à la même hauteur, de facture identique à celle du bourdon sauf accord par encoche et lame de plomb + 42 tuyaux sur le sommier (pieds étoffe, corps en étain coupé au ton, biseaux avec dents fines, quelques marquages de notes à la pointe). Cette tuyauterie incontestablement d'origine, a particulièrement souffert d'accords hâtifs et mal exécutés : corps évasés - ou resserrés - , pincés ou même déchirés...

Tuyauterie de l'orgueDOUBLETTE 2

Jeu récent - hélas - de facture industrielle germanique ou de l'est de la France, comprenant 54 tuyaux sur le sommier (corps en étain à bouches très étroites, lèvre inférieure imprimée en demi-cercle, lèvre supérieure à peine aplatie et coupée en berceau, biseaux fortement dentés, corps pavillonnés sauf dans les dessus). Ce jeu est totalement étranger à l'orgue, autant par son esthétique que par son exécution.

 

 

 

Composition

Clavier de l'orgueUn clavier manuel, 54 notes, Ut1 - Fa5 :

  1. Bourdon     8
  2. Prestant     4
  3. Doublette   2 (Basse et Dessus; coupure entre Si2 - Ut3)

 

 

 

 

 

Pédalier de l'orguePédalier, tirasse fixe du manuel, 18 notes, Ut1 - Fa2.

 

 

 

Etat actuel

Détails du clavierCe petit orgue "rustique" est très intéressant malgré les limites musicales imposées par sa composition réduite. Son état est, actuellement, plutôt médiocre et l'on sent que des mains attentives ne se sont pas portées sur lui depuis longtemps...
Tout l'orgue est envahi de poussière et les toiles d'araignée s'accrochent à la tuyauterie. Il a reçu - récemment semble-t-il - des débris de verre provenant des verrières qui ornaient le buffet.

Le ventilateur électrique est bruyant et l'alimentation révèle des fuites d'air (réservoir, boursettes, postages).

La mécanique est déréglée, les axes et les abrégés sont rouillés et les cavaliers en laiton sont englués dans des coulures de suif séché, primitivement destiné à graisser les points de rotation. Le tirage des jeux est beaucoup trop libre et  l'enchappage présente des soufflures.

Détails de l'abrégéLa tuyauterie est très sale, des tuyaux sont cabossés, d'autres sont déchirés ou meurtris. Certains présentent des soudures très mal faites. Plus grave, un jeu ancien a été supprimé et remplacé par une tuyauterie industrielle de très médiocre qualité (mais peut-être ce jeu était-il déjà manquant lors de cette substitution ?...).

Cet état révèle un instrument très peu entretenu, presque abandonné. Les interventions qui ont eu lieu à une date indéterminée1 ont sans doute été réalisées dans le but de maintenir en vie ce petit instrument pour l'accompagnement des offices, ce qui est louable. Les moyens financiers qui auraient permis un travail sérieux ont peut-être manqué...

 

 

 

 

CEPENDANT, cet orgue est particulièrement attachant et le témoin d'une facture "de campagne" exécutée à l'ombre des grands ateliers des facteurs d'orgues parisiens de l'époque. A ce titre, il mérite que l'on envisage sa restauration scrupuleuse, dans le respect de son esthétique d'origine et de ses composants d'époque. Un relevage général s'impose donc, nécessitant un démontage complet pour une restauration de toutes les pièces. A cette occasion, l'actuelle Doublette pourra avantageusement être remplacée par un jeu de 2' copié sur les tailles, progressions et alliages du Prestant. Il va de soi que ce travail devra respecter le diapason d'origine qui sera facilement donné par les Bourdons convenablement restaurés.

Cette opération est vivement souhaitable et contribuera à la bonne conservation d'un élément du patrimoine communal dont, par ailleurs, il ne subsiste plus que de très rares exemples en Ile-de-France.

1 M. LABAT, de Gometz-la-Ville, dont on trouve une plaque à la console, a entretenu des orgues autour des années 50 et jusque vers les années 70. Il n'est plus en activité aujourd'hui.